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Rhizome en taniere n°10 / A pleines dents

Rhizome en Tanière N°10 - 02/10/20

A pleines dents

« C’est bon, il rigole, on peut y aller. » Pourtant je ne rigole pas du tout. J’ai la mine fermée, les yeux noirs, aucun rictus en coin de joue. Désolé, le masque est tombé, pour cet instant c’était nécessaire, sans quoi l’apport éducatif ne se faisait pas. Il est des nécessités d’intérêt psychologique vital. Mais l’enfant expérimenté a reconnu la situation qui amenait à ce que j’exerce ce jeu de théâtre. Il a perçu aussi au ton de ma voix pourtant ferme qu’elle n’a pas tout à fait la même pression, la même incise et ni la même pose qui ne souffre pas trop de retour. Il y est ce petit, nous pouvons dérouler notre pièce avec une puissance de précision savoureuse. Nous nous connaissons, nous sommes un peu plus intime en effet par cette mise à nu de nos fortins intérieurs.

Ils se sont habitués à ce que je bascule dans l’humour décalé quand ils posent une question à laquelle ils pouvaient répondre eux mêmes.

« Est ce qu’on peut descendre au trampoline ? » en fonction de l’enfant, la réponse peut être « non ». « Non », pas parce qu’il ne peut pas, ils peuvent tous. Au sens allemand d’« être autorisé à » « dürfen » et non « d’être capable de » « können ». Les miens de können et dürfen s’expriment dans le ton, dans l’inflexion de la voix et du visage, le français nous ayant laissé dans la solitude d’un seul verbe « pouvoir ». D’ailleurs nous ne leur avons pas demandé de nous demander l’autorisation, mais de nous prévenir et en cela de vérifier que nous avons bien entendu, donc d’attendre une réponse telle que
« ok, d’accord, entendu… ». Par conséquent pour celles et ceux qui sont encore dans le monde de l’autorisation et non de la responsabilité, nous les bousculons gentiment. « Est ce que je peux ? » « non. Beh non c’est comme ça, les autres ils y vont mais toi non, tu as des pieds bien trop petits, tu vas te faire mal etc. » Et toutes choses aussi saugrenues jusqu’à ce qu’un signe laisse entrevoir dans son visage cette surprise qui fait place au regard de colère dénonçant l’injustice première. Mais que faire face à l’autorité. Et puis les plus expérimentés commencent à sourire, et là on peut lâcher le jeu. « mais oui bien sur. Tu n’as pas à demander « est-ce-que » mais à prévenir que… La force du multi-âge revient alors au galop et l’école mutuelle se rappelle à notre bon souvenir.

Et puis parfois, le passé n’a pas encore fait table rase des tensions face à l’autorité et ça s’écroule. Je suis allé trop loin, je n’ai pas su lire les signes que je lis d’habitude. C’était plus à fleur de peau que je ne pensais… « Houla, attends, tout va bien, je rigolais… ça s’appelle une blague. Je voulais te taquiner car tu n’as pas besoin de demander etc »

C’était le cas de ce bonhomme qui pleurait dès qu’on allait contre ou qu’on lui demandait quelque chose. Depuis quelques jours il a un sourire en coin qui en dit long quand nous* venons le provoquer ainsi.

On y est. 4 semaines après avoir pris possession de la tanière, le collectif commence à se faire. Surtout, il s’y fait, à ce ton décalé de l’humour. C’est là que les éducatrices et éducateurs de passage, ou certains parents un peu trop le doigt sur la couture de la bienveillance tranquille et policée considèrent que nous déstabilisons un peu trop les enfants. Que leur dire si ce n’est que l’enfant, lui, n’a pas regardé la lune mais ma main lorsque je la lui tendais en direction de l’astre.

Mais pour cela il faut du temps. L’humour décapant à la Charlie (ou Siné, Canard enchainé..., pas de jaloux...), le contre temps d’un contre chant vous obligeant à passer dans l’autodérision, est une arme de lutte pour reprendre la main sur sa confiance.

Ce petit d’homme planqué derrière son grand frère a passé une journée avec nous en juin, comme expérience introductive. On n’osait lui parler de peur que le souffle de notre voix ne vienne l’ébranler pour de bon. Un château de carte prêt à s’écrouler à la moindre turpitude émotionnelle, dont parfois on ne voit pas venir le bout du bec. Pour une simple demande telle que « peux-tu aller chercher le ballon dans la salle ? », les flots lui remplissaient les yeux, il s’inondait d’angoisse, de crainte, de je ne sais quoi… ne pas trouver, ne pas satisfaire, se faire gronder, etc. Peu importe la raison. Il nous faut trouver des entrées.

L’une d’entre elle est la reprise de confiance par la maitrise de l’autodérision, de l’humour, pour se responsabiliser.

Il était le petit frère malingre, chétif, le peureux caché derrière son grand frère valorisé. Il devient un petit être gagnant en autonomie s’éloignant de l’ombre fraternelle, en souriant, en se marrant. Fragile encore… mais quoi ! le temps éducatif n’est pas celui du CAC40.

Travail suivant : Accompagner le grand frère dans ce moment de séparation déstabilisante… avec humour.

Erwan, 02/10/20

educateur-enseignant, pédagogue social

http://bricabracs.org

* Ce « nous » prend en compte les deux éducateurs enseignants animateurs que nous sommes Charles et moi. Nous oeuvrons dans le même sens, pas toujours à la même vitesse ni avec la même acuité. 20 ans d’écart de vie, associé à des formations différentes donnent un mélange enthousiasmant. A ceci près que pour un éducateur, entrer dans l’apprentissage de l’humour maitrisé, volontaire, comme porte d’entrée avec les enfants et donc d’acceptation de l’autodérision pour soi aussi, n’est pas le moindre des apprentissages du métier.

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