Rue Bricabrac – Mise en boite
Comme souvent nous sommes dans l’entre deux, peut être dans le tiers moment. Les enfants ont pris leurs aises. ChacunE se répartit par petits groupes évolutifs ou seul dans notre espace luxueux. Luxe ? En effet au regard de la vie dans la densité urbaine d’un 3ème arrondissement de Marseille, la dimension de l’espace que nous pratiquons cette année dans les quartiers nord est un bol d’air. En fait il est adapté à un développement de vie apaisé là où ce qui est censé faire norme en la matière est inadapté. La volonté politique de nous entasser, de nous enterrer sous les murs coupant tout horizon de nature et de champ de vue est selon moi un choix de nuisance sur les populations. Des résistances sont là, certes, mais elle raconte davantage des adaptations pour survivre que des possibilités de vivre dignement. On récupère un carré autour d’un arbre, on met des plantes devant sa porte, mais on est un peu comme l’homme boite qui finit par s’habituer à son monde cartonné ou comme Julius Corentin Acquefac resté prisonnier de ses rêves dans un espace hyper restreint. Il n’est plus possible de s’isoler d’un big brother permanent démultiplié dans l’œil de touTEs sur touTEs. Pour y vivre on nous apprend à ne plus penser qu’il puisse être autrement, et si on y pense encore cela réclame de développer des acceptations ou des soumissions, mais est ce vraiment ce à quoi nous aspirions ?
Quand dans une école l’espace est limité en rapport au nombre de personnes y vivant, c’est le développement de la tyrannie du collectif qui s’impose. Nous n’avons plus la possibilité de développer nos personnalités, car il n’y a plus de possibilité d’isolement. La solution revient à se créer un monde intérieur qui nous permet d’être au milieu des autres sans les voir, une boite dans la tête. Les enfants suivent la masse, contraints par le flux. Même l’intimité est collective, sur le même registre que ces latrines ouvertes d’un collectivisme d’élevage en batterie.
Quand et comment peuvent ils s’extirper de la présence des autres, pour mieux y revenir, au collectif. L’école du collectivisme développe des comportements individualistes, chacun cherchant à tenir au milieu de ce collectif et non à s’en nourrir. Individualiste et hiérarchique, car l’autre solution pour tenir c’est de prendre la direction de la masse en se faisant reconnaître comme le bon élève. Il s’agit aussi dans une autre forme associée, le capitalisme, de contraindre le collectif par un développement compétitif individualiste. Or dans un milieu à densité humaine trop forte, il est difficile de vouloir rechercher une autre voie tâtonnante entre le collectivisme et l’individualisme, par une approche de praxis liant le collectif et la personne, l’individuation.
Prenez un disque de 85 cm de rayon, 1m70 de diamètre, faites le tourner et se déplacer dans un carré constitué de 25 carrés d’un mètre de coté. Ajoutez 10 disques comme celui ci. Mettez en mouvement ce tout et observez les zones de chevauchement. Quand bien même vous resteriez immobile, le mouvement des autres ronds viendraient malgré tout effleurer votre zone personnelle. On peut se dire que cela est fantastique en terme de possibilité de création de rhizomes ondulatoires. Les possibilités d’interférence sont énormes créant de multiples autres lignes d’ondulation. Chaque personne représente alors l’équivalent d’une fente de Young créant une interférence de connaissances nouvelles : de nouveaux questionnements, de nouvelles interrogations, de nouveaux apprentissages. Sauf que tout cela s’effectuant non pas avec des boules de billard mais avec des êtres sensibles, ce foisonnement peut durer un temps, mais nécessite d’être digéré, repris en soi même. On doit pouvoir s’en extraire pour interroger ce qu’on en a saisi et y retourner pour à nouveau confronter ce qu’on en a compris. Il nous faut donc d’une part de l’espace pour s’isoler des ondes qui pourraient nous atteindre et d’autre part organiser le cadre de vie de ce milieu pour que l’extraction d’un élément de ce collectif soit autorisée.
Jeudi, après avoir provoqué une réunion pour discuter du nid apporté par une enfant, les 10 toupies se sont retrouvés en activité dans nos 25m2. Au bout d’un moment cela est devenu trop pesant pour l’un d’entre eux, plus sensible à cet entrelacs. Il s’est dépêché de terminer ce qu’il était en train de faire et a pris la poudre d’escampette. Personne ne l’a suivi et il a pu rester un quart d’heure tranquille tout seul dehors. Le soir en revanche le même enfant s’effondra devant le trop plein de présence des autres et ne réussit pas à trouver son petit coin d’apaisement. Les adultes présents trop pris par leur réunion ne surent pas plus intervenir pour l’y aider. Si l’espace et le cadre d’autorisation le permettait, l’absence d’un éducateur devenait lourd de tension pour ce petit bonhomme et pour le collectif. Or cet éducateur est alors le garant à la fois de l’état sécure de la personne enfant et du collectif. Dans notre volonté de coéducation et d’intervention sociale, il devrait peut être aussi se situer en garant de cet état pour les parents.
L’espace, le cadre et le garant.
Mince j’en ai perdu 3 ? Où sont ils donc ? Pas à l’intérieur, pas sur la terrasse, pas devant moi sur l’esplanade, ni dans l’arbre, ni sous le buisson… Ils ne sont tout de même pas aller dans la zone interdite le long du bâtiment ? Je me dirige alors vers le petit bosquet où ils jouent souvent. Rien. Je poursuis en prenant un peut de recule. Là, dans l’angle mort de mon champ de vision habituel, je découvre une petite cabane de tissu aménagée avec chaise et cageots juste en bordure de notre frontière d’espace autorisé. Ils sont là. Tous les 3, vaquant à leurs jeux. Chut. Ne rien dire. S’effacer.
Erwan, le 6 décembre 2015
éducateur, enseignant, garant, animateur, coordinateur … espaces éducatifs Bricabracs
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