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Causeries

Quartier d’hiver

Quartier d’hiver

Prenez un panier. Mettez y crayons, papiers, ciseaux, scotch, tailles crayons, gommes...
Installez vous ici ou là, votre intention restera la même.
Prenez une nappe, un tapis, une table, une gazinière… où que vous les déposiez vous y emporterez le même soupçon de poudre à malice. Celle que vous aurez voulu y glisser.
Vous pourrez vouloir y mettre les éléments préprogrammés de ce qui va se passer ensuite. Cela peut être intéressant dans certaines situations.
Vous pourrez vouloir les déposer et puis attendre qu’il se passe quelque chose ou rien.
Vous pourrez vouloir les indisposer, les déplacer, les ajuster, les mettre en scène pour déclencher le pouvoir d’un agir incertain.
Dans tous les cas, vous aurez choisi un dispositif. Vous vous serez situé par rapport à l’espace, au milieu, au lieu, au temps qui déroule et qu’il fait, à votre état d’erre du jour, à ce que vous pensez supporter, tenir, lâcher, perdre…
Claque. L’enfant vient de se prendre une claque – tête, fesse, joue. Ce n’est prévu nulle part. C’est interdit même. La désobéissance civique au service de la remise sur pied, terre à terre. Peut on rediscuter maintenant que la lévitation destructrice est brisée et contenue. Insupportable empoignade au même titre que l’urgentiste qui laisse crever un individu après avoir analysé la situation et déclarer que tenter de le secourir c’était, dans cette situation, à cet instant, prendre un trop gros risque d’en perdre deux.
Nous observons, nous analysons et nous choisissons. Mais tout comme l’urgentiste il nous faut souvent décider dans un instant court. Tel gamin balance des cailloux contre le mur, en bas, puis plus haut, puis près d’une fenêtre, il y a des passants, d’autres enfants. Stop, arrête toi, stop, mais… stoppons la parole, saisissons le bras et expédions l’ingénu. Nous serons blamés car on ne touche pas l’enfant. On le laisse détruire, se détruire et on discute encore, encore, encore, en corps,
Non...enfin, oui, … mais non, pas toujours, pas pour touTEs, pas partout, pas pour tout ni sur tout, ni de tout à tout prix … Parfois brandir la non violence comme sauf conduit vers l’au dela est un acte d’insalubrité collective. Crier le contraire l’est tout autant.
Il s’agit de jauger l’intérêt du moment sans exclure les possibilités. Il s’agit de garder à l’esprit qu’on ne cherche pas à avilir, qu’on ne cherche pas à casser, à faire plier, à être injuste, mais à protéger un espace, une personne, un collectif parfois fragile. Stopper net pour pouvoir redémarrer sous un autre climat plus apaisé, quand nous n’avons su ou pu prévenir l’hémorragie.
Nos espaces sont construits pour cela, prévenir. Ceux que j’ai pu voir en activité de plein air entre des barres d’immeubles ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux que nous mettons en place dans notre espace de pédagogie sociale version école du 3ème type.
Reprenez votre panier, votre valise et comme à chaque marché déballez et installez méthodiquement votre marchandise. Préparez la mise en scène. Geste répété, précis, chaque personne à sa place,… Les mêmes habitués viennent humer, s’installer, suivant les chemins du bonhommes qui n’y est pas. Tissant leur toile d’arachnéen, ils parcourent des rituels qui nous paressent représenter l’incertitude. Or ils retrouvent les mêmes ateliers d’activité, les mêmes représentations spatiales, la même durée de présence. Ils s’approprient aussi ces espaces quand on n’y est pas, nous, éducateur. D’ailleurs si nous sommes trop là ou trop au delà, ils se perdent. C’est ainsi que notre pain quotidien se pétrie sans que j’y mette un pouce. A chaque groupe de boulanger, c’est une nouvelle transformation qui s’opère. Une réappropriation du fournil, de la recette, de la forme etc. Il faut accepter de gâcher comme le maçon, et d’en perdre aussi les 600g de belle pâte qui malencontreusement ont chu au sol à dernier instant de l’enfournement. Reprendre le labeur, y retourner, reprendre la tache nécessaire pour se nourrir le corps et l’esprit.
Comme en dessous de l’immeuble, on vient aussi installer des ateliers d’extérieur pendant une durée définie. On vient passer du temps dans l’espace du 3ème type-Freinet, aussi pour un temps fini, délimité. On peut changer d’atelier, on veut venir goûter et créer en différents domaines. On peut les croiser, les mélanger, en sortir quelque chose d’imprévisible. On peut retrouver notre mémoire collective en réutilisant des choses laissées sur place bien que leur naissance ne soit plus de toute première jeunesse. Cela parce que entre les barres d’immeuble ou dans la cour ou dans le lieu de vie collectif repéré, on peut se représenter, se déclarer, se critiquer et se ressourcer lorsque l’agora est convoquée pour la causerie. Au fil des répétitions on devient réceptif à du commun repérable : des espaces, des déplacements, des emplacements, des droits à agir et des limitations, des ordres et des désordres en va et vient s’équilibrant et se nourrissant, des odeurs et des attitudes humaines. La dimension spatio temporelle reconnue comme commune permettra de délivrer la création qui reste imprévisible. Elle permettra de révéler des moments où l’on sent la connaissance se découvrir en nous, et s’afficher aux yeux des personnes présentes. Elle permettra de passer d’un espace à un environnement humain.
Nous pourrons alors déplacer nos espaces d’un lieu à un autre, notre environnement restera relié.
Nous venons de changer de mur. De quatre mur, nous sommes passés à 12 murs. Mais l’espace « murmures » est resté présent, ainsi que les espaces jeux, cuisine, bricolage, peinture … nous avons déplacé nos espaces, nous avons poussé les murs mais nous en avons conservé le fond d’agir commun. Pour les anciens la continuité de création se poursuit dans les environnements repérés : L’art du multiage en action dans le temps long. Pour les nouveaux, ils découvrent et s’essayent à ces nouveaux usages. Certains sont encore figés comme le petit oiseau à qui l’on ouvre la porte mais qui revient dans la cage. D’autres ont saisi la marge de liberté que crée cette organisation ordonnée pour y laisser le désordre de la diversité de déplacement et d’agir se développer. Rigueur et souplesse de réajustement.
Un castelet créé l’an dernier nous avait suivi dans nos bagages. Visible mais non accessible, rangé en hauteur, il aura fallu attendre 6 semaines et la présentation d’un dessin/ collage figurant un théatre de marionnette pour que la mémoire se rappelle de l’existence des marionnettes. Les anciens entraînent alors les nouveaux ignorant l’existence de ces objets et de ses possibles. Un plus grand, timide, en situation familiale complexe, se laisse lui aussi aller dans ce chamboule tout de pédagogie sociale et une séance d’improvisation succulente.
Mais où se sont ils installés ? Dans l’espace de la réunion, de l’agora, des présentations mais aussi des livres, des films, du tapis et du canapé…
Qu’est ce que cela a changé ? Le castelet n’est pas remonté et les marionnettes sont restées sorties. Les plus jeunes ont pu s’instruire d’une pratique et s’entrainent déjà à se l’approprier. Pas touTEs. Ceux les plus inspirés par ce domaine. Mais peu importe, c’est bien de cela qu’il faut créer : des lignes d’erre rhizomique. Dans leurs nœuds et sur leurs traces s’effectue le chemin de l’apprentissage (connaissance, socialisation, etc.)
Mais voilà l’automne qui approche. Même à Marseille, bien que clémente, la température baisse.
Les repas extérieurs deviennent un peu frais sous les arbres pare soleil. La critique de la réalité saisonnière commence à pointer son nez. On a froid… j’suis gelé… va chercher ton manteau, oui mais j’ai encore froid… Décision est prise, nous installons notre espace table dans un autre espace d’accueil mieux exposé aux rayons de l’étoile. Ce déplacement ne modifie pas l’environnement qui s’était créé. Chaque élément conserve son usage repéré par le commun : bassine, verres, boite à couverts, groupe de service, adulte de service, boite à savon.
Un autre point d’eau est vite trouvé et le même rituel collectif se réinstalle. Le changement le plus important est du coté de l’éducateur qui est moins obligé de se dépêcher de manger car ce nouvel espace donne un bon visuel de la globalité des autres espaces et une proximité sonore et/ ou spatiale de ceux qui restent invisibles. Cette proximité des lieux d’activité rapproche aussi le groupe. Ceux qui mangent plus lentement sont malgré tout situés au milieu des activités qui redémarrent et non à l’écart. La mise en scène joue donc un rôle important. Il n’y a que 5 ou 6 mètres entre les deux espaces. Cela ne change pas le déroulé, les rituels du repas, mais cela apporte des nouveautés intéressantes par rapport à ce que nous voyons, par rapport à ce que nous montrons car nous sommes alors davantage sur le chemin des jardiniers et en vue des acteurs des autres associations présentes. L’hypothèse d’un élargissement de notre commun devient possible. Partager le repas avec d’autres passant par exemple. Et si il n’arrive pas de lui même, une petite mise en scène, une provocation du destin, sera envisageable. Laissez du temps d’imprégnation aux humains et prendre en compte le tempo des saisons. Trouvez le bon ajustement car nous n’avons que quelques mois pour savourer l’effet d’attirance de notre nouvel emplacement. Ensuite il nous faudra retourner dans l’ombre en espérant y entraîner les oiseaux captés au cours de notre séjour en quartier d’hiver.
Pouvoir solidariser les pratiques hétérogènes en fonction des espaces, du climat géographique, de l’environnement social et spatial, du temps à notre disposition. L’hypothèse du lien commun qui se crée dans ces espaces vient peut être du fait que les personnes « s’approprient leurs pratiques, leurs terrains et [l’artisanat] de leur intervention. »

Erwan Redon
2 novembre 2016
Enseignant-éducateur, coordinateur des espaces éducatifs Bricabracs.
http://bricabracs.org

Précisions :
 « Le bonhomme qui n’y est pas » et « l’arachnéen » renvoient au travail de Fernand Deligny.
 « Rhizome, ligne d’erre » sont inspirés d’une lecture trop rapide de Deleuze/ Guattari
 le mode d’organisation entre désordre et ordre renvoie à l’expérience des écoles Freinet de la tendance dite du 3ème type, dont le principal diffuseur d’idée et théoricien est Bernard Collot.
 La dernière formule est empruntée à Laurent Ott en la transformant un peu. Le terme « ingénierie » est remplacé par « artisanat » : les personnes « s’approprient leurs pratiques, leurs terrains et [l’artisanat] de leur intervention. »

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